Journal de l'animatrice - Episode (1)

Publié le par Jocelyne Barbas, formatrice

7 février 2008


La perception du projet par les stagiaires


La densité du projet nuit à sa présentation. J’ai bien une mouture écrite de cette initiative mais même lue, ce document n’est pas assimilé. Il devient nécessaire de mettre en évidence chaque étape et particulièrement le début de l’atelier d’écriture en marquant l’entrée du stagiaire. La réalisation d’un marque-page original m’a semblé tout indiquée.
Celui-ci possède plusieurs fonctions : se repérer dans sa lecture, se souvenir des sept consignes, concrétiser son adhésion au projet de l’atelier d’écriture. Il a été demandé également de le personnaliser, d’y mettre un peu de soi, d’exprimer ses goûts, ses attirances et de créer son marque-page en s’éloignant des modèles traditionnels.
L’émergence de la créativité se remarque tout d’abord par des demandes d’autorisation, un besoin de réassurance : « Puis-je taper mes textes ? Faire une recherche photo sur l’Internet ? Utiliser ce type de papier ? »
A ma surprise, les plus timides, les silencieux réalisent des découpes précises. La minutie apportée à leur création est étonnante. Cet entraînement à la concentration est vécu comme une activité de détente. L’approche manuelle dédramatise l’écriture et régule les tensions. Le bien-être s’installe. Nous travaillons des aptitudes nécessaires à la compréhension de la lecture et la pratique de l’écrit. Les stagiaires l’ignorent. Les contacts deviennent chaleureux. J’espère qu’ils associent la bonne ambiance de l’atelier à leur nouvelle relation à l’écriture. 
Les stagiaires sont les acteurs principaux de leurs apprentissages. Ce passage à l’action est particulièrement intéressant dans cette logique d’insertion des jeunes. Outre le fait qu’il soit particulièrement facile de détecter les « improductifs » dans ces activités de scrapbooking, cette approche permet d’appréhender et d’analyser les inerties et des blocages, indépendamment des difficultés à manier la langue.
Débuter est un obstacle, continuer jusqu’au terme de son action en est un autre. L’autonomie reste à construire.  Comprendre et accepter les consignes, les intégrer demande bien des efforts. Il s’agit le plus souvent de modes opératoires logiques, chronologiques dans lesquels ils devront faire des choix et s’exprimer au travers d’une réalisation visible de tous. Communiquer harmonieusement en société relève d’un réel apprentissage.

 

Des obstacles récurrents


La bonne volonté n’est pas toujours au rendez-vous. Je perçois parfois les silences comme de la violence contenue, d’une résistance trop éprouvée. Les nerfs sont à vif. Je sens qu’un rien pourrait les faire exploser. Il est fort douloureux de s’extraire de la passivité dont on s’est laissé engluer depuis des années. Les mots s’échauffent et dépassent quelque fois la pensée de leurs auteurs. Cette résistance au changement reste bien compréhensible.
J’ai recours à l’équipe des formateurs pour procéder à l’opération douloureuse du « coupage de poil dans la main ». Il m’arrive de solliciter de l’aide de l’équipe afin de faire entrer dans l’enceinte de l’atelier la discipline de l’école. L’autorité reste un repère essentiel pour se construire. Certains jeunes nous ont mené la vie dure jusqu’à temps que ces limites, qu’ils n’ont jamais eues, soient enfin posées. 
Il y a aussi la peur de se montrer, d’accepter d’étaler en public les déficiences, d’affronter  la honte avant de retrouver le chemin de l’apprentissage. Certains ego malmenés, des fiertés que l’on dit mal placées, ont généré des ruptures et parfois motivé le départ de certains stagiaires. Que faire face à leur immaturité ?
La mauvaise image de soi, l’habitude de renoncer à soi me fait penser à des pulsions morbides qui annihilent les désirs et les espoirs. Il faut des années pour rassurer une personne sur elle-même et faire en sorte qu’elle puisse à son tour, en toute autonomie et liberté, construire cette sécurité intérieure en ayant conscience de sa valeur personnelle. 
Animer un atelier d’écriture revient à engager un bras de fer avec les peurs, les réticences, les à-priori, les inerties, les héritages d’un passé scolaire douloureux. Tout ceci calmement, avec le sourire et la certitude que  cela va marcher, ce n’est qu’une question de temps. Toute une énergie à impulser. En permanence. Allant parfois jusqu’à «les insérer malgré eux », comme me le faisait remarquer Eric Meunier, le directeur de l’école.
Rien n’est inéluctable du moment que l’on accepte d’essayer, de participer. On peut tous progresser. Eux comme moi.  

 

Plus tard


L’expression personnelle


Nous en venons à l’écriture proprement dite. L’expression personnelle est un véritable casse-tête pour les stagiaires. Visiblement, on ne leur a pas souvent demandé de parler d’eux ou alors dans des circonstances éprouvantes : entretiens d’embauche, lettres de motivation, justifications de comportements avant l’application d’une sanction… Cela tient du supplice de se dévoiler. L’anonymat, c’est pratique, on peut rester dans ses modes de fonctionnement habituels sans jamais se poser la moindre question. Pas de jugement, pas de prise de risque, pas de prise de conscience de soi.
Je leur demande d’avoir une lecture d’eux même et de la rendre publique. Autant avouer que ma démarche est empreinte d’une grande violence. La stratégie d’évitement a été vite trouvée. Je dirais même qu’elle est restée en héritage par les stagiaires qui ont suivi : « C’est personnel, c’est trop intime donc je n’en parle pas ! ».
Evidemment, les notions  de « personnel » avec « intime » son confondues. Cette confusion joue à merveille son rôle de diversion quand la demande devient trop forte. Mis au pied du mur, leur inexpérience à parler d’eux-mêmes éclate au grand jour. Leur attitude varie du tout ou rien : déballage de souffrances avec écoulement de larmes et usage intensif des kleenex ou refus de participer pur et simple.
La pudeur relève d’un apprentissage social, d’une accommodation du degré de confidence à un interlocuteur et à un contexte relationnel. Cette expression de soi demande également de se situer activement dans un processus de communication sociale sécurisé, d’être capable d’utiliser le langage pour dire sa pensée. Rien d’évident. Rien d’acquis. Beaucoup n’ont pas les mots à leur disposition pour se dire.
Visiblement faire le tri entre « ce que je peux dire » ; « ce que je dois garder pour moi » requiert de faire des expériences personnelles car mes explications ne sont pas complètement perçues ou du moins, ne les ont pas complètement convaincus.
Le déroulement de la confection du carnet de voyage en Pologne, nous (l’équipe éducative) a laissé penser que les stagiaires pourraient faire usage d’un carnet intime pour s’entraîner à faire ce tri, pratiquer l’écrit de manière libre et autonome. Ces textes secrets pouvant enrichir leurs productions en atelier d’écriture. 

 

Au terme de la définition de ce projet, avec Christophe, il a été envisagé également un partenariat avec la bibliothèque du Château de Châtellerault, la visite du musée Fombeure  suivi d’une séance d’écriture en plein air et une journée de conférences sur le thème de « se contruire et se reconstruire » avec la participation, pour le moment espéré, de Madame Régine Deforges, Alberto Manguel, et Madame Cresson, fondatrice de la fondation des Ecoles de la Deuxième Chance et Présidente de l’Ecole de Châtellerault.  

J’ai l’habitude de fonctionner par association d’idées, par ajouts successifs. Ce qui me pousse inévitablement à la densité et la complexité des projets, voir à la dispersion. Je vais m’efforcer d’en rester là et de clôturer la présentation du projet de l’atelier d’écriture en donnant son nom : Les carnets de lecture, entre le carnet de l’écrivain et le carnet de voyage.

Aller au-delà, je pense que je tomberai en dissonance, c’est à dire, sans accord du diapason !


Résumé du projet

 


Les carnets de lecteurs, entre le carnet de l’écrivain et le carnet de voyage
 



Entrée dans l’atelier :

- La création de marques-pages originaux et personnalisés afin d’assimiler le fonctionnement de l‘atelier et les possibilités d’écriture 

Contenu de l’atelier:

- Des lectures créatives de quelques auteurs de la Vienne : Odile Caradec, Jean-Claude Martin, Maurice Fombeure, Régine Deforges, Didier Quella-Villéger

- Des visites à la bibliothèque du Château de Châtellerault et du Musée Fombeure

- Des carnets de lecture dont la confection se fait page à page d’un livre collectif unique, avec un processus créatif complet : de l’idée jusqu’à la fabrication de sa page ( scrapbooking).

- Un carnet d’écriture intime pour s’entraîner à se dire, s’organiser et structurer sa pensée et enrichir ses créations personnelles. 

De multiples valorisations

Lecture orale des textes au sein de l’atelier, publications sur le blog de l’Ecole, le journal de l’animatrice, présentation des réalisations des stagiaires à la bibliothèque du château et durant une manifestation organisée par l’école, une journée de débats et de conférences sur le thème « se construire et se reconstruire ».

 

Quelques notions
  


Le carnet


Le carnet est tout à la fois un support d’écriture et un ensemble de pratiques. Il tient à la fois du brouillon et du beau livre. Il permet toute forme d’expression de soi et une infinité de possibilité d’écriture : prise de note, collecte de fragments de vie, de traces, d’informations ; récits d’événements, résurgence de souvenirs, critiques, dialogue avec sa conscience, voyage initiatique de découverte de soi et de son humanité, regard posé sur le réel, le monde et l’imaginaire, confidences à un journal intime, compilation de découvertes, d’étonnements, de questionnements, d’indignations, de refus…
 

                 Le carnet de voyage


Le carnet de voyage peut contenir toutes sortes d’informations et de documents. Il utilise simultanément de nombreuses pratiques d’expression : texte, illustration, collage, photo, mise en page, aquarelle, dessin… Il peut être réalisé pendant ou après un voyage.

La notion de voyage retenue n’a rien à voir avec le tourisme. Elle s’appuie sur les analyses de nombreux écrivains voyageurs notamment celle de Nicolas Bouvier : « On voyage pour que les choses surviennent et changent, sans quoi on resterait chez soi. » ; « On croit faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » et « Alors, le seul fait d’être au monde remplirait l’horizon jusqu’au bord. »


Le journal du lecteur
 


Le journal d’un lecteur
est une œuvre d’Alberto Manguel parue aux éditions Actes Sud, Babel, dans lequel il adopte une approche particulièrement active et créative de la lecture.

 « Parce que la lecture est peut-être avant tout une « conversation », tout lecteur éprouve le besoin de « répondre » aux textes qui l’interpellent et confèrent à sa vie un surcroît d’existence. »

« Il m’est apparu que, si je lisais un livre par mois, je pourrais mener à bien, en un an, quelque chose qui tiendrait du carnet intime et du recueil de citations : un ensemble de notes, réflexions, impressions de voyage, descriptions d’amis, d’événements publics et privés, le tout suscité par mes lectures. J’ai dressé une liste de ce que serait les livres choisis. Il me paraissait important, pour l’équilibre, qu’il y eût un peu de tout. » 


Le scrapbooking


Le mot anglais « scrap » désigne des chutes de papier coloré, recyclé qui servent à embellir les albums photos de famille, « book » signifie : le livre. 

   



La réalisation de pages selon ce procédé permet d’aborder la rédaction, le français, la mise en page (conception et réalisation informatique), les relations textes, images ; les livres d’artistes. 


 

Les stagiaires sont sollicités pour collecter toutes sortes d’objets : boutons, rubans, œillets, photos, dentelles… L’accent est mis sur le recyclage et le détournement d’objets, la débrouillardise, le partage d’idées ; de matières et d’objets collectés. 

 

   
                                       

 

 

 

 

 

 

 

 

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