Rien de plus compliqué que de poser une question! - Préparation tables rondes « se construire et se reconstruire »

Publié le par Jocelyne Barbas, formatrice

Atelier du 23 septembre 2008.
Seize présents. Préparation tables rondes «  Se construire et se reconstruire » du 20 novembre 2008. Le groupe s’est profondément renouvelé. Je retrouve les mêmes blocages du démarrage qui se manifestent notamment par le refus de parler de soi, une réaction instinctive de repli et de protection.

Empêtrés dans leurs complexes, la timidité, la peur d’être jugé, la terreur parfois d’aller vers les autres. Je les vois au supplice, paralysés par des émotions qui les dépassent. Certains parlent de leur flemme. Le silence, c’est la seule porte de sortie qu’ils connaissent et précisément, aujourd’hui, je les oblige à rester présent intellectuellement, à s’interroger sur eux-même, à mener une réflexion objective, à se désengluer de leur inertie.

« Non, je ne dirais rien, c’est trop intime et personnel. » Même ambiguïtés. C’est le tout ou rien. Aujourd’hui, c’est rien, jour de fermeture. Toute l’équipe connaît par cœur ces objections. Ces jeunes ne sont pas les premiers à nous servir cette excuse. Des traditions se créent, y compris, chez les stagiaires.

J’ai parfois l’impression d’avoir à user d’un pied de biche mental pour les ouvrir à l’échange, à recourir à des images très fortes pour déminer leurs stratégies d’évitement, à les provoquer aussi.

«  Bon, si je vous disais que j’ai envie d’avoir un amant, d’accord, là c’est intime. Si je vous avoue que j’ai besoin d’affection, là je vous parle de besoins humains que nous sommes tous amenés à connaître un jour. Pas de dévoilement, mais une liberté d’expression. Comme vous, j’ai besoin que l’on m’apprécie. C’est peut-être parce que je n’ose pas aller vers les autres que je ressens ce besoin. C’est un exemple de changement personnel que l’on peut souhaiter. Vous voyez bien que je ne vous aie rien dévoilé de ma vie ! »

L’argument fait mouche et commence à desserrer les entraves. La compréhension intellectuelle demeure insuffisante pour générer des changements d’attitude et de comportement. J’aimerais les amener à faire des expériences. La majorité des jeunes reste captifs de leur émotivité et ne parviennent pas à donner une dimension générale à des difficultés individuelles. Le stress est palpable. Ils ne savent pas formuler leur question. Les mots surgissent dans le désordre. Les interrogations s’avèrent parfois incompréhensibles. Les esprits s’agitent. Le découragement les guette quant ce n’est pas l’énervement de ne pas parvenir à communiquer avec le groupe. La prise de recul est impossible. La confrontation avec eux-même devient insupportable. Ils ne savent pas évaluer quelle est la bonne distance relationnelle à adopter avec leur interlocuteur. Ils comprennent que leur histoire personnelle à l’état brut est intransmissible mais n’ont pas encore la capacité de l’exprimer, et qui plus est, de l’exprimer publiquement. L’exercice est particulièrement violent. Je sens à quel point cela peut les bousculer. 

Je me déplace et lis par-dessus les seize paires d’épaules leur brouillon afin de proposer à chacun une reformulation d’urgence qui les protège de ce qu’ils redoutent : le jugement.

Pris en défaut, une seule alternative subsiste : apprendre à exprimer ensemble leurs sujets de préoccupation, à trouver les mots justes qui expriment leurs idées. Ils acquiescent. Ils font l’expérience de la clarification de leur pensée et de la satisfaction d’être compris. Rapidement, ma démarche est mieux perçue par deux jeunes femmes qui m’aident à faire passer le message et il finit par passer au bout de… trois heures. Temps nécessaire pour apprivoiser les consciences apeurées et endolories.

La thématique de « se construire et se reconstruire » devient signifiante et ils en perçoivent les intérêts pratiques, hormis deux jeunes, qui restent sur la défensive. J’espère néanmoins avoir opéré quelques brèches dans leur bulle et leur avoir donner à respirer d’autres réalités. Parfois l’air trop vif provoque des rétractations au fond de leur « coquille ». L’information est passée mais la communication n’est pas encore établie.

 

Il s’agit bel et bien d’accompagner une transformation profonde à travers une démarche de questionnement, d’aider à ce qu’une ouverture au monde extérieur s’opère et demeure. On ne répare pas des erreurs d’interprétation, des inaptitudes en claquent des doigts, ni en usant des sourires ou de méthodes douces. Les prises de conscience sont brutales. Former se transforme parfois en une authentique bataille mentale. La résistance de l’esprit humain n’a rien à envier à celle des métaux !

 

Après des efforts de reformulation afin mettre à distance son histoire personnelle, je les oriente vers un nouveau niveau de distanciation : les questions trop générales placeraient en difficulté les intervenants invités le 20 novembre. Les questions surgissent dans l’impulsivité du moment, sans relation logique avec la thématique de cette journée. Pas-à-pas, les propositions se succèdent. Cependant, elles ne sont toujours pas classées en fonction des interlocuteurs.

L’expression orale s’avère éprouvante, elle le reste par nature : « Tout parleur doit affronter simultanément de sérieuses difficultés : suivre la pensée de son interlocuteur, cerner, par approches successives une notion complexe, trouver les mots qui l’expriment, enfin maintenir le contact avec le vis-à-vis afin de le convaincre. » Savoir rédiger, les voies de l’expression française, Ed ; Bordas 1978

 

La perspective de pouvoir s’entretenir avec des personnalités hors du commun lors de la journée du 20 novembre ne suscite pas d’emblée leur enthousiasme. Voici le constat que j’aimerais qu’ils fassent : l’autre est peut-être porteur de la solution que je cherche mais si je ne m’autorise pas tendre la main pour la saisir, et poser la bonne question pour obtenir ce que je souhaite le plus… ce trésor, bien qu’étant à ma portée, restera inaccessible.

J’ai du présenter chaque invité à plusieurs reprises, leur raconter ce que je trouvais de remarquable dans chacun de ces parcours, faire le lien de manière plus évidente avec leurs préoccupations quotidiennes et finalement, les idées se frayent un chemin dans les esprits. Le petit miracle a lieu. Je repars vidée avec une liste de questions, des idées en vrac. Il ne me reste plus qu’à les mettre en ordre…

 

(Suite - séance suivante)

Atelier du 14 octobre.

Nouvelle tentative de questionnement avec le groupe à la demande du coordinateur pédagogique. La production du jour reste faible : une dizaine de questions supplémentaires émergent. Le silence à nouveau. Toujours cette résistance à vouloir éviter la confrontation avec soi-même. L’insistance a ses mérites, en l’occurrence celui de conduire à une clarification puisque la concertation avec les jeunes se produit enfin. Analyse à chaud. Les certitudes s’avèrent plus confortables. L’inconscience est l’apanage de la jeunesse : « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir. » écrivait James Matthew Barrie. Il faut déjà avoir engrangé des connaissances pour mesurer ce que l’on ignore, et plus on avance dans l’âge et le savoir, plus on en prend conscience et plus l’humilité apparaît. C’est vrai qu’ils sont jeunes et qu’il est impossible de leur demander de faire autrement !

La perspective d’une adaptation aux changements les effraie ? Comment cela ne durera pas ce que je vis ? Grandir, mûrir, vieillir, c’est assurément effrayant. La perspective d’évoluer, de se transformer ne fait pas encore partie de leur univers.

L’un d’eux assimile le questionnement à une séance de doutes de soi. Face à l’imminence  d’une séance d’angoisse, il se défend bec et ongle: « Tout à la force de la conviction personnelle », une philosophie du « on verra bien, on fonce !  Non pas de questions, surtout pas ! »

D’autres facettes à ces silences sont dévoilées. Un effet pernicieux de l’accompagnement réalisé par des collègues qui s’impliquent et se démènent pour eux, se révèle : « Je suis très content, j’ai un super coach qui se pose les questions à ma place. » L’avenir, pour être supportable doit être au moins la copie conforme du présent, « en moins pire », quant au « mieux », ils ne savent pas toujours à quoi cela peut ressembler.

D’autres ne se projettent pas du tout. Un jour après l’autre. Prisonniers du présent, enfermés farouchement dans leur bulle. Surfant sur la crête de l’instant, cliquant mentalement sur les possibilités qui se présentent à eux. La réalité se « virtualise ». Pas terrible la vie, les cours, l’ennui, l’indécision, la perte de désir… C’est sans doute les seules choses qui restent permanentes dans ce tourbillon d’instants qui se succèdent et qui s’imposent d’eux même à leur volonté.

D’autres enfin se réfugient derrière un discours formaté et ignorent l’usage de la question pour énoncer une suite d’objectifs vraisemblablement rabâchés par tous ceux qui les ont accompagnés dans leur parcours. Ce ne sont pas la grammaire ou la syntaxe qui font défaut, c’est simplement la forme interrogative qui est devenue impraticable.

Flottement. Les apparences s’écroulent. Leurs défenses sont percées. Ils ne peuvent qu’admettre qu’ils sont dans l’impasse s’ils ne parviennent plus à se poser la moindre question. Dernier sursaut de malaise : « A quoi cela sert tout cela ? De toute façon je ne serai pas là ce jour là. Ah, c’est filmé et je pourrais le voir sur Internet ! … » Nouveau silence.

Ordinairement, en tant que formateur, on se tait, on entre en résistance à leur résistance en sauvegardant les apparences, on reste en quête de nouvelles stratégies d’intéressement et de dynamisation. Tout deviendrait tellement plus facile s’ils s’impliquaient dans leur formation, s’ils étaient actifs et confiants. Aucun de ces jeunes ne soupçonnera jamais à quel point ils peuvent parfois décourager les meilleures volontés ! La solitude fait partie du métier. On pense alors « je prends du recul » et on continue cette quête car dans le fond, ces jeunes, on les aime en silence. Cà aussi, ils sont loin de s’en douter.

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