Journal de l'animatrice - Episode (2)

Publié le par Jocelyne Barbas, formatrice

Débuter en poésie avec Odile Caradec

 
5 avril 2008


La poésie comme un déniaisement


La dernière fois que j’ai vu Odile Caradec, c’était au salon du livre de Poitiers, le 1er décembre 2007. J’avais jeté un œil dans l'un de ses recueils juste paru. Le premier vers lu au hasard m’avait coupé le souffle. Elle écrit : « Je suis née dans le brasier vaginal ». Je ne pense pas que j’aurais eu l’audace d’écrire un tel vers et encore moins d’imaginer le plaisir que ma mère a ressenti aux premières secondes de ma conception. Je lui en ai fait la remarque. Odile
, une petite dame aux cheveux blancs, fort respectable, trotte-menue, 83 ans, m’a semblé encore plus indignée que moi « M’enfin !  Mais d’où crois-tu que l’on vienne ? ».  


C’est évident ! Du brasier vaginal de notre mère.


Je ne me voyais pas lire à haute voix un tel poème aux stagiaires de l’école. J’imaginais leurs questions avec une certaine anxiété : « Hé moi, madame, vous pensez que c’était un vrai brasier vaginal ou un feu de paille ? Alors, les femmes peuvent faire des étincelles ? C’est de là que vient l’expression faire un pompier ? C’est pour cela que l’on parle des Feux de l’amour ? »


Comment leur faire comprendre que nous sommes dès notre première seconde de vie des êtres de désir avant d’être de chair ? Que la vie elle-même naît du désir ? Que la poésie élève l’esprit au-dessus des mots. Où pourrais-je dénicher une telle échelle magique ? 
 


Musicienne dans l’âme, Odile aime donner des coups d’archets stridents sur son violoncelle pour réveiller nos consciences assoupies. Les siens sont si soudains et violents qu’elle réveillerait les esprits des morts. Elle écrit comme elle interprète du Jean-Sébastien Bach. Entière, lumineuse, féminine et très fière de l’être ; inspirée par la fraîcheur d’un matin ensoleillé d’un printemps qui n’en finit plus.


C’est ce mot « vaginal » qui me heurte. Les femmes s’affirment rarement en parlant de leur sexe. La véritable égalité entre homme et femme surviendra quand la femme s’autorisera à se vanter du sien, de ses dimensions et de sa vigueur. Odile est en avance sur son temps. Vaginal ! Coup d’archet. C’est vrai qu’il sonne mal, ce mot. Il m’inspire la dissimulation et le secret. Odile, fais-comme si je n’avais jamais rougi…

 

Sélectionner des poèmes


Afin d’arpéger ses poèmes, j’ai passé tout un après-midi à la médiathèque François Mitterrand
de Poitiers. Censure ? Non ! Sélection en fonction  de l’accessibilité au langage poétique… 
J’ai lu ses recueils avant de les emprunter. Empruntée, je l’étais un peu moi-même. Parce que je la connais. Parce que j’ai des sentiments pour elle. Parce que je sais qu’elle m’apprécie. Parce qu’elle fait partie de moi. Parce que c’est un honneur que d’aborder la poésie au travers de son oeuvre. J’ai relu ses textes en ressentant ses élans, ses tentatives littéraires, ses coups d’éclats, d’audace, de bravoure. J’ai lu. Tout lu. Puis, instinctivement, j’ai choisi des textes. Je les ai classés ensuite de manière à aménager une entrée possible dans l’écriture de la poésie.  

Au commencement de nous-même, on nous attribue un nom. J’ai donc choisi un poème qui parle de son nom.

 

« On m’a permis de m’appeler Odile
   De commencer mon nom par un grand O vide
  Qu’aurais-je mis dedans sinon des cerceaux ?et des ronds de chapeaux ?       (…) »

   Extrait du poème Citron rouge, Ed. Le Dé Bleu

 

J’ai sélectionné également un poème critique sur la poésie qui induit la contestation et donc la liberté de parole.

 

« Quell’ rase la poésie
   quand on essaie d’ouvrir la boîte du poème
   c’est un borborygme (…) » 


Je me suis limitée à ces deux textes afin d’examiner en détail leurs réactions. J’ai veillé aussi à ce que les stagiaires conservent un choix dans l’utilisation des consignes d’écriture. Ils peuvent en effet exploiter l’une des sept possibilités d’écriture de l’atelier multipliée par deux textes soit quatorze propositions simultanées. Même s’ils ne prennent pas le temps de percevoir l’intégralité des potentialités de ces propositions, cette capacité de choix et donc de décision leur permet de s’exercer à la liberté personnelle et ainsi d’accéder à une expression orale et écrite qui leur est propre.

Le pouvoir de saisissement de la consigne (stimulation à l’écriture) a été dosé selon les capacités du public. Il n’était pas question de les déstabiliser encore plus qu’ils ne l’étaient déjà en créant des effets de surprise. Ecrire de la poésie suffit amplement à les troubler.

 

Plus tard


Enfonçons quelques clous !
 


Le choix : une bouée de sauvetage pour construire son autonomie


J’aimerais insister sur l’importance du choix et de ses vertus éducatives. La consigne d’écriture n’a rien à voir avec un exercice qui contraint la volonté. Comme
je l’ai précisé précédemment, il n’est pas question d’exercer un pouvoir sur l’autre mais de l’aider à se trouver et à se construire en lui indiquant des possibilités, en l’accompagnant dans un cheminement conscient, actif et productif. L’effacement du formateur aménage des espaces d’évolutions supplémentaires pour les stagiaires. Ce choix est la clé de la motivation. Il n’y a pas de plaisir sans liberté.  

A ce sujet, j’ai récemment rencontré une bénévole qui intervient à l’association l’ACLEF à Châtellerault (lutte contre l’illettrisme) et qui s’évertue à « se faire pardonner de savoir auprès de ses apprenants ». Je me suis reconnue en elle. Il me semble que l’adoption de cette position formative soit la plus saine qui soit. Se mettre à la portée de l’autre signifie que l’on accepter de le considérer de manière égalitaire et respectueuse. Les stagiaires ne sont pas des faire-valoir.

 
Le rôle de l’intelligence émotionnelle dans l’apprentissage de la langue


Ecrire relève d’un processus particulièrement complexe. Il ne saurait être réduit à de la virtuosité intellectuelle pure, c’est à dire, expurgé d’affects, comme peut l’être un exercice scolaire. Française Dolto, la célèbre psychanalyste, affirme que nous sommes des êtres de langage. Il nous construit, nous fournit des outils pour exercer la majeure partie de nos activités mentales, régule notre équilibre psychologique, forge notre identité. Ecrire peut se décliner en une multitude d’activités : penser, rêver, s’organiser, s’affirmer, aimer, imaginer, s’exprimer… Nous sommes très loin des exercices de français !
  

Les consignes d’écriture, extrêmement variées dans leurs formes et leurs effets, permettent généralement d’inclure ces autres dimensions et notamment la gestion des émotions dans l’apprentissage de la langue. Ce qui est une des originalités du dispositif pédagogique de l’atelier d’écriture.

Dans le cursus de formation initiale, l’émotion n’est admise que dans les matières dites artistiques, sans que celle-ci soit nommée et encore moins analysée ou utilisée à des fins d’expression personnelle. Sans ce savoir-faire qui consiste à mobiliser son intelligence émotionnelle, il n’est pas possible de prendre du recul, de sentir l’émotion d’autrui, de respecter sa sensibilité et sa différence, de se comporter avec tact en société. (Cf.,  L’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman, Ed. Robert Laffont). C’est pourquoi L’atelier d’écriture s’avère être un outil efficace de socialisation des personnes.

 

Une approche globale et pragmatique de l’apprentissage de la langue


Le français (langue maternelle) s’enseigne en dépit des besoins psychologiques (reconnaissance de sa valeur, intégration dans un groupe, gratification…) qui se trouve liés naturellement au langage. Il s’opère alors un désajustement entre les objectifs de la formation et les besoins de la personne en situation d’apprentissage. Au lieu de s’adresser à la personne toute entière, l’enseignement se limite à cette partie cérébrale. La langue devient aussi abstraite que les mathématiques. Son usage dit scolaire est perçu comme inutile dans la vie. Celui
qui apprend n’est pas en mesure d’appréhender l’usage qu’il pourra en faire ensuite pour lui même. Quelques exemples : est-il crucial de savoir ce qu’est une proposition relative ? La concordance des temps ? Les ruptures se multiplient. Je me souviens à ce sujet d’une explication de Célestin Freinet. Si on appliquait les méthodes d’enseignement du français pour apprendre à faire du vélo, alors, serait détaillé le vélo lui même et sa mécanique, l’historique des différents modèles, la vie des constructeurs, le code de la route, les lois physiques de l’attraction terrestre et des risques de chute en temps de pluie… sans jamais permettre à élève de grimper dessus et de pédaler. C’est précisément ce que fait l’atelier d’écriture : on monte sur la selle d’abord, on pédale fort et on comprend après comment on a réussit à avancer.  

 

Productions stagiaires

 

On m’a obligé de m’appeler Alexandre
De commencer mon nom par un grand A
Qu’aurais-je fait si on m’avait demandé mon avis ?
Je ne sais pas !
M’appeler autrement,
Sûrement pas !
Ce nom là on me l’a donné et je le respecte car
Il avait un autre propriétaire…
Mon grand-père.


Alexandre  
 

On m’a permis de m’appeler Francine
de commencer mon nom avec un gros F,
plein de fables et des farces.
Avec le gros nœud du f,
on fait des chemins sans direction
et même si on ne trouve pas d’explication
on s’en sort avec une amère détermination.

Francine

On m'a permis de m’appeler Horso
De commencer mon nom par un grand H
Qui me fait penser aux barres de mon boxe
Quand je sors du pré ou quand je sors en carrière
Je suis heureux de pouvoir sauter des barrières
Quand je vais avec mon maître auprès de l’eau
Ou auprès de la mer, je galope sur la plage au fil de la tempête.

Frédéric
                    

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G
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