Ma démarche pédagogique

Publié le par Jocelyne Barbas, formatrice

Ma démarche pédagogique.


L’écrit constitue le principal outil de sélection et donc d’exclusion pour ceux qui ne le maîtrisent pas. Le pari est donc d’inverser la tendance est de faire de l’écrit un outil d’intégration, de réussite scolaire et professionnelle et de développement personnel.
Les ateliers d’écriture apportent des réponses intéressantes. On peut parler de pédagogies alternatives et complémentaires aux cursus de formation. La diversité des pratiques et des compétences, l’inventivité des animateurs ne permettent pas cependant d’avoir une lisibilité précise de leurs apports et encore moins d’avoir des explications sur le « pourquoi ça marche ».
Pour ma part, l’animation d’un atelier d’écriture avec des publics en insertion relève d’une spécialisation et d’une nécessaire adaptation de l’atelier d’écriture tel qu’il est pratiqué généralement. Les pré-requis ne sont en effet pas réunis : dégoût de l’écrit, difficultés à s’exprimer, rejet des activités cérébrales, inertie due à des blocages, manque de maîtrise de la langue à l’oral et à l’écrit, refus de participation, procrastination, comportements asociaux, etc.
En référence à la fois à des théories pédagogiques (Freinet, Piaget, Anzieu) et à mes expériences personnelles, ma démarche passe par différentes phases et vise plus à développer des comportements que des savoir-faire rédactionnels.


Les différentes étapes

1 –  Poser le cadre de l’atelier (ses règles de fonctionnement)
2 – Entrer dans l’univers de l’écrit c’est intégrer un processus de communication. Cette entrée est favorisée par la pratique d’activités langagières orales et écrites qui se distinguent de ce qu’ils connaissent et qui puissent être vécues comme étant agréables, intéressantes, accessibles et apaisantes.
3 – Accompagner l’expression personnelle et valoriser les productions et (distinction entre ce qui est intime et personnel, analyse des différents propos, échanges d’idées, publication de textes.)
4- Proposer des processus d’écriture qui développent la créativité et stimulent une expression originale.
5 – Acquérir et mettre en œuvre des techniques rédactionnelles. L’apprentissage s’effectue prioritairement par la pratique. Les apports théoriques sont réduits à l’essentiel.


Les aptitudes développées

- L’acuité, le dynamisme et la fluidité mentale : mobilisation de sa sensibilité, du vocabulaire, réponses apportées aux différents stimuli (proposition d’écriture), capacité à produire du texte en un temps limité et en groupe, associer des mots avec des idées, des émotions, des perceptions, des informations, des images, des sensations.
- La maîtrise émotionnelle
- Sens de la rigueur et de la précision
- L’acceptation, la confiance et l’exigence de soi
- L’imaginaire
- L’adaptation à la nouveauté et à la différence : anticonformisme, tolérance
- La décentration et la prise de  distance
- La construction d’une  pensée autonome et critique
- L’appétence pour l’écriture et la lecture


Les principaux apports

- Construction d’outils conceptuels personnels : observation, analyse, raisonnements (déductifs, analytiques, logiques, intuitifs, adaptés à un contexte. La pensée s’élabore et s’organise de manière cohérente et compréhensible.
- Prise de conscience de soi et des autres : restauration identitaire et narcissique, développement de l’intériorité, dépassement des inhibitions, construction de l’autonomie, développement de comportements de communication et de la sociabilité.
- Dynamisation des personnes.
- Élaboration de savoir-faire rédactionnels personnels.


Styles d’animation et méthodes pédagogiques

(1) L’atelier d’écriture repose sur des méthodes actives d’entraînement à l’écriture et se compose de plusieurs activités : mise en situation d’écriture et d’expression personnelle, lecture orale et silencieuse, recherche documentaire, confrontation de points de vue en petits groupes et avec l’ensemble du groupe, réécriture des textes de premier jet afin de les réviser et de les corriger, échanges cadrés et enrichis d’apports théoriques et méthodologiques.
(2) L’organisation de la séance fait appel à un style d’animation participatif qui tient compte des attentes et des questions des participants.
(3) Les compétences développées restent avant tout pragmatiques et sont choisies en raison de leur caractère transférable dans la vie quotidienne des participants.


Pourquoi ça marche ?
 

De quelle manière ces moments d’intimité  passés avec soi-même, canalisés par l’écriture et partagés à chaud avec un groupe contribuent t-il à faire progresser les comportements ?

Il s’agit d’un ensemble de réponses qui interagissant entre-elles et produisent des effets qui tiennent compte des problématiques individuelles, de la complexité de l’apprentissage de la langue et des personnalités. Ces apports multiples et cette large approche ne permettent pas d’analyser  avec précision les raisons d’un déblocage, les apprentissages. L’individu se soustrait à la logique implacable des progressions pédagogiques. Cette dimension humaine n’est ni logique, ni prévisible. La question des évaluations se pose et s’avère  périlleuse à un niveau individuel.

« Les effets des ateliers d’écriture ne sont pas mesurables à l’écriture elle-même. L’apprentissage de l’écriture n’est pas évalué par la mesure des capacités acquises à écrire ni même par l’intensité du goût qu’on aurait pu développer à prendre la plume. Ce qui est travaillé dans l’atelier est moins l’écriture que le sujet qui écrit. »
(P. Meier, M.H. Rambaud, Parler, écouter, écrire… De quelques effets sensibles de
l’atelier d’écriture, in Education permanente, 1999)


Cependant, déplaçant le niveau de l’évaluation au niveau de l’atelier d’écriture,  il est possible d’observer les mécanismes suivants :


La communication est essentielle à la réussite individuelle.
En redonnant à une personne sa capacité à s’exprimer et à utiliser le langage comme support de cette expression, elle retrouve du même coup la capacité à échanger, à se rassurer, à clarifier et à ordonner ses idées, à modifier ses points de vue, à questionner et à retrouver progressivement les capacités nécessaires pour apprendre : disponibilité intellectuelle, capacité d’écoute, de concentration et une disponibilité intellectuelle. [« Nous sommes des êtres de langage » François Dolto].

« Lorsque nous pouvons nous raconter, nos joies grandissent et nos souffrances s’atténuent. » Célestin Freinet

« Ce n’est que par la libre expression que plaisir d’écrire et art d’écrire finissent pas se confondre. » Célestin Freinet


Restauration de la motivation

Le dispositif de l’atelier d’écriture s’avère être une machine à motiver. Les propositions d’écritures procurent à la fois une imprégnation (lecture de texte), une impulsion et une stimulation (réaction émotionnelle), un mode opératoire (pistes pour écrire et manières de procéder), une ouverture (un espace d’expression). Elles constituent une forme de suggestion organisée qui créent le désir d’écrire.
« La motivation ne précède pas l’apprentissage, elle s’y construit. Au bout du compte, il nous faut amener l’élève à jouir de sa compréhension des choses. » Philippe Mérieu.

Les exigences liées à l’écrit sont réduites au profit de la participation et de l’expression. Le passage à l’écrit est généré par une consigne et une animation adaptée qui réduisent les difficultés à écrire et organisent le processus individuel d’écriture. Placer la personne en situation d’action et de réussite l’incite à dépasser ses freins et blocages.

L’image de l’écrit, outil de sélection et exclusion, s’efface au profit des relations constructives et positives. Commence alors l’exploration d’autres facettes de l’écriture, d’autres usages.
La fréquentation régulière de l’atelier d’écriture, la constance et le suivi rend possible la mise en œuvre d’un contexte d’apprentissage qui a été identifiée par Roland Viau comme étant le mécanisme de la motivation.

 La motivation en contexte scolaire se définit « comme un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but. » Roland Viau
Les conditions à remplir selon lui pour motiver consiste à agir sur les perceptions que l’apprenant à de :
- la valeur de l’activité (désir d’intégration au groupe, désir de progresser dans ses apprentissages, envie d’être reconnu…
- sa propre compétence
- la contrôlabilité du déroulement et de ses conséquences (être convaincu qu’il peut agir, que cette action sera prise en compte positivement, que les méthodes utilisées sont efficaces)

Les différents courants d’atelier d’écriture se sont démarqués des évaluations classiques des apprentissages. L’erreur n’est pas sanctionnée : pas de note, pas de dévalorisation publique, pas de blessure narcissique, pas de remarques désobligeantes mais des encouragements à poursuivre et à s’améliorer. C’est le pari du « Tous capables » posé par le GFEN (Groupement Français d’Éducation Nouvelle) On parle de textes émergeants de germes d’idées à développer, de formulations originales… La lecture des productions s’effectuent toujours d’une manière positive, chaleureuse et bienveillante.

Les difficultés sont identifiées, analysées, décryptées. Les stratégies éducatives reposent sur des approches détournées et rusées visant à distraire la personne de ses blocages et lui faire oublier ses freins individuels. Par exemple les situations vécues de manière ludiques permettent de travailler en profondeur des difficultés d’expression spécifiques. L’invention de devinette cultive la curiosité, la création de mots croisés améliore l’acquisition de l’orthographe et la maîtrise de l’horizontalité et de la verticalité chez des scripteurs adultes débutants…



La modification de sa relation à l’écriture et à la lecture


Le dispositif de l’atelier d’écriture provoque et accompagne la modification de son rapport à l’écriture. Cette notion se définit ainsi : 

« Globalement donc, le rapport à l'écriture désigne des conceptions, des opinions, des attitudes, de plus ou moins grande distance, de plus ou moins grande implication, mais aussi des valeurs et des sentiments attachés à l’écriture, à son apprentissage et à ses usages. »
Le rapport à l’écriture, Aspects théoriques et didactiques, Christine Barré-de-Miniac Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000

L’une des premières découvertes que l’on fait en atelier d’écriture est de constater que l’école nous a interdit de nous impliquer dans notre expression écrite : depuis Pascal, « le moi est haïssable ». L’écriture scolaire sort d’un cadre de communication normal : il n’y pas de destinataire, il n’y a pas de réponse, il n’y a pas d’échange. C’est un exercice abstrait, autant que peu l’être les mathématiques, et qui plus est, est  normé, sanctionné par une note.
Bâillonnés dès le plus jeune âge, voués à des exercices d’admiration des auteurs reconnus et mentionnés dans les programmes, les complexes et les confusions dans l’esprit des apprenants s’installent : les besoins individuels d’expression utilisent les opportunités disponibles. Ainsi, le texte de type moi-peau est mis au même niveau que la rédaction écrite au collège. Ce qui signifie que lorsque l’on ne maîtrise pas l’écrit, ce type d’apprentissage devient une puissante entreprise de dévalorisation : je ne vaux rien, je suis nul, je ne suis pas intéressant… donc je vais m’abstenir le plus possible d’écrire.
L’implication, l’expression de soi revêtent une importance cruciale, car il s’agit d’éléments moteurs qui servent à inverser cette mécanique de l’échec et de rupture avec l’écrit. C’est à ce niveau que la personne retrouve confiance en elle, modifie l’image qu’elle a d’elle-même et s’ouvre à nouveau aux apprentissages.

La découverte d’autres usages de l’écriture participe à cette transformation de sa relation avec l’écriture. Par exemple, les personnes en situation d’insertion ont perdu la faculté de s’évader par l’imaginaire et se retrouvent lestées à la réalité par le poids de leurs  problèmes ce qui contribue à entretenir des états émotionnels pénibles. En procurant les moyens de se détacher du présent, de maîtriser ses pensées, d’écarter celles qui sont obsédantes et douloureuses, la personne éprouve un sentiment de liberté. Elle recouvre les moyens, l’énergie de s’évader, d’affronter avec recul la réalité. Elle est à nouveau en mesure de se maîtriser.

Ces différents usages de l’écrit sont particulièrement nombreux puisque l’écrit est le principal instrument et support de la vie intérieure et intellectuelle. Il témoigne de nos relations personnelles avec la langue, le passé, la fiction la réalité et le monde. Il est tout à la fois : outil d’organisation, d’apprentissage,  mnémotechnique, d’expression de soi, d’évasion, d’amusement, etc.

Ce n’est pas un hasard, ni un manque d’originalité si la première question que posent les journalistes aux écrivains est : « Pourquoi écrivez-vous ? ». La réponse détermine le point de départ d’une œuvre personnelle.


Voici une sélection de citations qui invitent à explorer les immenses territoires de l’écrit.

 
« L'écriture est la peinture de la voix ». Voltaire

 « L'écriture, comme la parole, est à tout le monde. Prenez-la. Ce que vous avez à dire vaut la peine d'être crié ou écrit. Ouvrez vos gueules. » Martin Winckler

« L’écriture est à saisir avant tout comme une façon d’élaborer sa propre pensée, ses repères, ses rapports au monde et aux autres. » Leslie Kaplan

« L'écriture est un exercice spirituel, elle aide à devenir libre. » Jean Ruaud

« L'on ne peut plus écrire lorsque l'on ne s'estime plus » Gustave Flaubert

« Alors, je crois qu’écrire, pour un médecin comme pour n’importe qui, c’est prendre la mesure de ce qu’on ne se rappelle pas, de ce que l’on ne retient pas. Écrire, c’est tenter de boucher les trous du réel évanescent avec des bouts de ficelle, faire des nœuds dans les voiles transparents en sachant que ça se déchirera ailleurs. Écrire, ça se fait contre la mémoire et non pas avec. Écrire c’est mesurer la perte. » Martin Winckler
« J’écris pour me parcourir. » Henri Michaux

« - jeter les mots hors de soi. Je vous ai dit aussi qu’il fallait écrire sans correction, pas forcément vite et à toute allure, non, mais selon soi, à ce moment-là, jeter l’écriture au dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien jeter de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir, ni vitesse, ni lenteur, laisser tout dans l’état de l’apparition. » Marguerite Duras

« Il n’y a pas d’heure, ni de lieu pour écrire.
On écrit n’importe où, n’importe quand, au hasard d’une rencontre, dans les intervalles d’un projet. L’écriture ne se laisse pas enfermer. Elle naît en marge des habitudes et des programmes. Elle brise les cadres rigides dans lesquels on veut la contraindre, sous prétexte de discipline ou de méthode. Elle naît au-delà du rituel de l’écrivain installé. »
Paul Mathis

« Écrire est un instrument d'organisation, de sélection, d'éclaircissement de ce que l'on sait et de ce que l'on voudrait savoir, c'est aussi un instrument de pouvoir. » Clotilde Pontecorvo

« En fait, l'écriture a très souvent et a eu très souvent dans l'histoire une fonction cryptique. L'écriture sert à cacher. Elle ne sert pas seulement à communiquer. Elle sert aussi à cacher ce qu'on veut communiquer. Et surtout si l'on quitte précisément le pictogramme pour l'alphabet, autrement dit, il y a de toute évidence un envers noir de l'écriture et c'est cet envers noir qu'il nous faut faire exister. » Roland Barthes

« Le désir d'écriture, à savoir la curiosité de soi-même et du monde, est en chacun. Suffit de le réveiller. » François Bon

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